Le 15 septembre dernier, Libération révélait une étude inédite menée par l’IFOP à la demande de la Grande mosquée de Paris. Elle confirme ce que beaucoup pressentaient déjà : en France, les musulmans vivent au quotidien dans un climat de peur, d’humiliation et d’injustice. La haine antimusulmans n’est pas un phénomène marginal, mais un système qui mine le cœur même de notre pacte républicain.
Les chiffres sont accablants. Deux tiers des musulmans vivant en France déclarent avoir subi des comportements racistes au cours des cinq dernières années. Ce taux atteint même 76 % chez les jeunes de moins de 25 ans. Plus de huit sur dix estiment que la haine à leur encontre s’est aggravée depuis dix ans. Comment parler encore d’« exceptions » ou de « cas isolés », quand c’est une majorité d’hommes, de femmes et d’enfants qui témoignent d’un quotidien marqué par la stigmatisation et la violence ?
Cette islamophobie ne se limite pas aux insultes de rue. Elle infiltre tous les espaces de la vie sociale. La recherche d’un emploi, d’un logement, un contrôle de police, un passage à l’hôpital, une inscription scolaire : partout, les discriminations s’intensifient. Un musulman sur deux en fait l’expérience dans sa chair. Comme l’explique François Kraus, directeur du pôle politique de l’Ifop, « la musulmanophobie apparaît plus que jamais comme un système discriminatoire multidimensionnel qui structure l’expérience sociale des musulmans dans tous les domaines de leur vie ».
Ce climat nourrit une anxiété profonde. Plus de la moitié des musulmans de France déclarent craindre d’être agressés, et ce chiffre grimpe à deux tiers parmi les femmes portant le voile. Beaucoup choisissent de se taire, d’éviter certains lieux, de ne pas porter plainte. L’injustice se double alors d’une forme de résignation forcée, quand l’État et ses institutions devraient au contraire être le refuge de la protection.
Il faut dire que la responsabilité politique est immense. Depuis des années, la parole publique s’est dégradée. La loi dite « séparatisme », votée en 2021, a stigmatisé des millions de nos concitoyens. En mai dernier, un rapport du Conseil de défense aux relents islamophobes remettait en cause l’existence même du terme « islamophobie ». Quant au ministre de l’Intérieur, il alimente chaque semaine la suspicion et la haine par des slogans violents, quand il ne tarde pas à se rendre sur les lieux d’attentats islamophobes. Son comportement donne une caution aux discours les plus radicaux et légitiment les passages à l’acte.
Face à cela, l’inaction n’est pas une option. La République doit redevenir fidèle à son idéal d’égalité. C’est pourquoi nous portons des propositions concrètes : un commissariat à l’égalité, un pôle judiciaire spécialisé dans la lutte contre les discriminations, l’instauration d’un récépissé de contrôle d’identité pour en finir avec les contrôles au faciès, la généralisation des campagnes de testing, l’abrogation des lois stigmatisantes. Autant de mesures qui, si elles sont mises en œuvre, rendront enfin à chacun le droit de vivre libre et digne dans notre pays.
Car ce qui est en jeu, c’est plus que la condition des musulmans de France. C’est la cohésion même de notre société. Une République qui accepte que certains de ses enfants soient humiliés pour leur religion, leur nom ou leur apparence, se condamne à l’échec. Comme pour l’antisémitisme qui n’est pas que l’affaire des juifs, l’islamophobie n’est pas seulement l’affaire des musulmans, elle est le poison qui ronge l’égalité de tous.
Comme l’écrivait Louise Michel : "le jour où le règne de la liberté et de l'égalité sera arrivé, le genre humain sera heureux."