21e réunion de la Commission méditerranéenne de développement durable (CMDD) des Nations unies. Corinthe, Grèce, 24 - 26 juin 2025
Intervention de Gabriel Amard, Rapporteur de l’APM au droit à l’eau et à l’assainissement de qualité et Chef de la délégation auprès de l’APM - Mardi 24 juin 2025
C’est avec gravité que je prends la parole devant vous en tant que Rapporteur de l’Assemblée parlementaire de la Méditerranée sur le droit à l’eau et à l’assainissement de qualité. La protection de la santé environnementale des régions euroméditerranéennes et du Golfe est une priorité et à ce titre, je suis intervenu il y a deux semaines à la 3e Conférence des Nations unies sur la protection des océans à Nice.
La stratégie méditerranéenne pour le développement durable ne cesse de mettre en exergue les défis environnementaux, auxquels nous sommes confrontés et continueront de l’être davantage dans les dix prochaines années en l’absence de mesures concrètes et ambitieuses.
Nous connaissons la sur-pollution actuelle de la mer Méditerranée et l’accentuation des sécheresses d’eau douce de notre bassin de vie. Ces crises sont maintenant documentées et audibles. C’est pourquoi, je souhaite vous alerter, ici, toutes et tous, sur une autre crise. Une crise sanitaire et environnementale sinueuse, non perceptible à l’œil nu et pourtant déjà mortelle pour l’ensemble du vivant.
En effet, l’ensemble des pays du bassin de vie méditerranéen et du Golfe est déjà contaminé par les substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées. Les PFAS. Ces polluants persistants.
L’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) est formelle : l’alimentation est la voie principale d’exposition des populations humaines aux PFAS.
Les PFAS utilisés dans l’industrie se retrouvent rejetés dans l’environnement, contaminant la biodiversité et s’intégrant dans la chaîne alimentaire. Des substances comme le beflubutamid, le flonicamid et le flurochloridone sont même directement utilisées dans les pesticides destinés à l’agriculture. Les pesticides contenant des PFAS se retrouvent donc servis sur un plateau dans notre alimentation, dans notre corps.
Le rapport du 19 juin 2025 de l’association Générations futures dresse un constat édifiant de la présence des PFAS dans l’alimentation. Basée sur des données officielles des États membres de l’Union européenne, il révèle que sur les 7 PFAS réglementées dans l’UE : 69 % des poissons, 55 % des abats, 55 % des mollusques, 39 % des œufs, 27 % des crustacés, 23 % des laits et 14 % des viandes contiennent au moins l’un des quatre PFAS réglementés. Sept autres PFAS dangereux, mais non réglementés, sont également détectés, notamment dans les abats, les poissons et les œufs.
Si les seuils de contamination sont effarants, il convient de souligner que ce rapport va dans le sens des autorités publiques. L’EFSA, avait déjà déclaré que les produits de la mer, les œufs et les viandes sont les aliments contribuant le plus à l’exposition au PFOS et au PFOA.
En France, l’Académie des Sciences tirait les mêmes conclusions dans son rapport de mars 2025 : « la viande, les œufs et les produits de la mer représentent une voie de contamination significative ». Elle ajoute qu’aujourd’hui, plusieurs PFAS à longue chaîne (PFOA, PFOS, PFNA, PFHxS) sont systématiquement mesurés dans le sérum sanguin des populations humaines des pays industrialisés, dès la vie in utero. Leur omniprésence, même chez des personnes non exposées professionnellement, suggère que la principale source de contamination provient de l’usage généralisé des PFAS dans les produits de consommation (alimentation) et par les industries (agriculture).
Toujours selon ce rapport, en France, l’exposition aux PFAS a été évaluée dans le cadre du programme Esteban, qui a mesuré 17 PFAS, sur la période 2014-2016, dans le sérum d’enfants et d’adultes. Le PFOA et le PFOS, principaux contributeurs à l’imprégnation, ont été détectés chez 100 % des participants, parmi lesquels la moitié est contaminée au-delà du seuil de sécurité actuellement admis, formulé par la Commission allemande de biosurveillance humaine (HBM).
Pire encore, les études de l’association Global 2000 et le réseau Pesticide Action Network Europe (PAN Europe) mettent en exergue que le TFA, polluant persistant le plus répandu, n’est pas contrôlé, tandis qu’il serait présent dans les aliments du quotidien, tel le pain, les pâtes et les céréales. Si au sein de l’Union européenne, 20 PFAS seraient contrôlés pour l’eau potable, il ne serait que 3 pour l’alimentation. Pour rappel, les substances PFAS sont une famille de plus de 16 000 substances ! Une partie de la Méditerranée n’en contrôlerait que 3 concernant la chaîne alimentaire !

Cela a des conséquences sur notre santé : l’EFSA a indiqué dès 2020, puis l’Agence européenne pour l’environnement, que l’exposition aux polluants persistants avait des conséquences néfastes directs sur le système reproducteur des hommes et femmes, le développement du fœtus in utero. Une exposition renforcerait le risque de déclarer des maladies thyroïdiennes, maladies inflammatoires de l’intestin, des maladies cardiométaboliques. Par ailleurs, en novembre 2023, le Centre international de Recherche sur le Cancer évaluait la cancérogénicité du PFOA et PFOS, comme cancérogène et cancérigène pour l’humain.
Enfin, des boues d’épuration contenant des PFAS sont régulièrement épandues sur les cultures destinées à l’alimentation. Un cercle vicieux est en marche : le peu de dépollution d’un côté ne cesse qu’à renforcer la pollution d’un site de l’autre.
L’un des seuls moyens efficaces connus à ce jour, pour dépolluer les milieux des PFAS consiste à les capter grâce à des charbons actifs. Mais faute de filière nationale de régénération, ces charbons sont souvent exportés ou stockés, sans traitement. De plus, les macérats issus de la potabilisation, qui sont souvent contaminés par les PFAS, devraient être intégrés dans les dispositifs de traitement et de surveillance, au même titre que les charbons actifs. A ce jour, les macérats, pollués, sont remis dans la nature. On dépollue très peu d’un côté, pour repolluer davantage de l’autre. Toute la chaîne du vivant est contaminée et les processus actuels de dépollution ne permettent pas d’améliorer cette situation, au contraire.
Quant aux déchets issus de ces opérations, ils ne doivent pas être traités dans les filières classiques de gestion des déchets ménagers. En effet, les déchets ménagers ultimes, lorsqu’ils sont incinérés, le sont généralement à des températures allant de 800 à 900°C, tandis que selon l’Académie des Sciences et l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (INERIS), la destruction efficace des molécules de PFAS nécessiterait des températures d’au moins 1 400 degrés. Le traitement actuel est donc insuffisant pour neutraliser ces substances.
Les PFAS ne connaissent pas de frontières. Ils circulent par l’eau, les sols, l’air, les produits de consommation. Ils empoisonnent, respectivement et sans discrimination la biodiversité et les êtres vivants, animaux humains et non-humains.
Par conséquent, notre réponse doit être commune, ambitieuse et coordonnée au niveau méditerranéen et du Golfe. Des réponses nationales unilatérales et faibles ne feraient que renforcer les inégalités concernant un environnement sain et le droit à une vie saine. Nous ne pouvons être divisés sur le sujet. La création de « paradis PFAS » et le renforcement de « clusters de cancer » ne sont pas une possibilité.
Nous avons les outils pour agir. Notre Convention de Barcelone et en particulier son « Protocole sur les sources terrestres » offre déjà un cadre solide et juridiquement contraignant à cet effet. Les PFAS relèvent clairement de son champ d’application.
Par conséquent, nous, parlementaires, appelons cette Commission à veiller à ce qu’ils soient mentionnés dans notre Stratégie, comme demandé par l’APM.
Nous recommandons également à tous les États méditerranéens, côtiers et enclavés, d’utiliser cet outil contre les PFAS, d’adopter des seuils régionaux contraignants, de renforcer le réseau de surveillance PNUE/APM pour suivre leur présence, et de protéger le droit à l’eau potable et à l’assainissement sûr, au cœur de l’ODD 6.
L’APM souhaite que notre commission joue un rôle moteur dans la reconnaissance des PFAS comme menace majeure pour la santé et pour l'environnement, et qu’elle œuvre à l’adoption de normes communes de surveillance, de restriction et de dépollution.
Notre bassin de vie doit devenir un exemple de coopération environnementale.
L’APM est depuis longtemps investie sur les questions de protection du vivant. Elle défend l’adoption d’un traité international global sur les plastiques, qui limiterait la pollution marine, tout en encourageant ses membres à ratifier rapidement le Traité sur la haute mer. Permettez-moi de rappeler, par exemple, qu’en avril 2024, l’APM et le PNUE/APM ont collaboré à l’élaboration du premier Guide parlementaire pour la protection de la mer et des côtes méditerranéennes, un outil phare destiné à aider les législateurs à transformer les accords environnementaux internationaux en lois nationales exécutoires.

Enfin, permettez-moi d’évoquer un autre enjeu majeur pour nos régions : les crimes environnementaux. Un phénomène souvent sous-estimé, mais qui ne cesse de croître, finançant d’autres activités illicites et le crime organisé.
En tant que l’APM, nous avons contribué à maintenir cette question au sommet de l’agenda méditerranéen, ayant adopté notre première Résolution sur ce sujet en 2010, et vous vous souviendrez peut-être de notre Rapport sur les « Navires des poisons »…
À l’APM, nous estimons qu’il est crucial de les inclure dans notre Stratégie, et nous rendrons compte des résultats de la réunion d’aujourd’hui lors de la prochaine conférence du groupe d’experts intergouvernemental sur les crimes affectant l’environnement, qui se tiendra à Vienne le mois prochain.
Nous sommes convaincus que les Parlementaires de notre bassin de vie ont un rôle à jouer et nous parlerons d’une seule voix lors de la COP30 à Belem, en novembre prochain.
Pour conclure, je souhaiterais citer Rachel Carson, biologiste marine et pionnière de l’écologie : « Dans chaque verre d’eau que nous buvons, dans chaque molécule que porte notre sang, c’est toute la mémoire du vivant qui circule. En polluant l’eau, nous brisons le lien qui nous relie au reste du monde. »