La Commission concocte en douce un budget pour les 7 prochaines années !

Le 2 mai dernier, la Commission européenne a publié les documents du « cadre financier pluriannuel » pour les années 2021 à 2027, c’est à dire un budget sur 7 ans.


Le « cadre financier pluriannuel », ce banal déni de démocratie.


Un déni de démocratie de plus ! Celui-ci date des années 1980, et avait pour objectif de refréner les demandes incessantes de Margaret Thatcher sur fond de « I want my money back ». Ainsi, il est décidé d'organiser une enveloppe budgétaire fermée pour 7 ans.


Sur le plan financier, c'est absurde : il n'est pas possible de prévoir de manière stricte les besoins financiers dans 7 ans. En 2013, quand l'actuel cadre budgétaire a été réalisé, personne n'avait prévu la crise des réfugiés, ni le Brexit, ni les sautes d'humeur de Donald Trump. Sans possibilité d'ajuster les budgets, de prévoir des relances économiques, l'efficacité des politiques est quasiment nulle.


Sur le plan politique, c'est totalement anti-démocratique : ce budget sur 7 ans est décidé avant que les eurodéputés ne soient élus pour la prochaine mandature (2019-2024), et sachant que les chefs d'exécutifs et de gouvernement seront sans doute différents en 2027. En 2013, lors de la dernière programmation, François Hollande était président, José Manuel Barroso dirigeait la Commission et Angela Merkel était... était déjà l'inamovible chancelière de la République fédérale d'Allemagne.


Un budget qui renforce le pouvoir de la Commission au détriment des peuples.


Le Brexit est passé par là. Le retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne causerait un trou de 12 à 14 milliards d'euros au budget de la Commission. Pour nombre de gouvernements, qui dit un pays en moins, dit un budget en baisse, non ? Pourtant Jean-Claude Juncker décide d'en augmenter le montant de 192 milliards par rapport à 2014-2020, en le portant à 1279 milliards euros (soit 160 par an). Pour ce faire, la contribution des Etats devrait augmenter (de 1,03 à 1,11% du revenu national brut). Dans le même temps, Bruxelles prévoit des recettes propres supplémentaires et la conditionnalité des fonds européens.


Les technocrates envisagent de nouvelles taxes : réforme de la TVA, taxe sur le marché carbone, taux de base sur l'impôt sur les sociétés, taxe sur les emballages plastiques. Cela lui permettra d'augmenter ses fonds propres de 22 milliards d'euros (soit 12 % du budget total de l'UE) et de moins dépendre des contributions des Etats.


Juncker instaure la conditionnalité des fonds en fonction du respect de l'Etat de droit : élections libres, d'indépendance de la justice, de respect de la liberté d'expression etc... Très clairement, les yeux se tournent vers la Pologne et la Hongrie. Une belle idée somme toute ! Pourtant, déjà, dans les couloirs des ministères allemands, on verrait bien conditionner ces aides à la mise en œuvre des réformes structurelles. Les mêmes « réformes » imposées à la Grèce, à l'Espagne, à l'Italie, au Portugal pendant des années. Bref, l'austérité à vie pour les peuples !


Un budget d'inégalités : l'agriculture sacrifiée.


Le budget augmente, d'accord, mais où ? Tout d'abord, on sait quelles ne sont pas ses priorités : l'agriculture et les territoires marginaux : -5% pour la PAC et -5% pour les fonds de cohésion, soit -12% en tenant compte de l'inflation!


La PAC, au cœur de la politique européenne représentait 70% du budget européen dans les années 1970. Aujourd'hui, c'est 37%. La France est contributrice nette au budget européen, mais la première récipiendaire de la PAC : baisser la PAC c'est encore moins donner à la France. C'est accroître la misère des agriculteurs français, dont beaucoup ne vivent plus que des aides de l'Europe. Cette même Europe qui a mis fin au marché réglementé, qui a jeté les agriculteurs dans les désordres des cours mondiaux du lait, du blé et du soja.


Le fonds de cohésion aide les États membres dont le revenu national est inférieur à 90 % à la moyenne des pays de l'UE. Le fonds finance principalement des infrastructures, notamment de transports et d'énergie. Ce fonds sera raboté aussi : manière de dire que les pays moins riches n'ont qu'à bien se tenir.


La Commission se dégage ainsi des marges de manœuvre financières. Pour quels objectifs ? La sécurité et principalement et le soutien aux « réformes prioritaires» (+ 25 milliards d'euros). Le programme Frontex, qui organise la « sécurité » aux frontières sera renforcé (de 13 à 33 milliards d'euros): il s'agit d'augmenter le nombre de policiers et de garde-côtes de 1200 à 10 000. La peur panique de la Russie, et l'effroi crée par le comportement de Trump poussent les Etats européens de l'OTAN à organiser leur « armée européenne » : un fonds de défense de 13 milliards d’euros sera créé. Enfin, pour faire bonne figure et affermir le « sentiment européen », les budgets d'Erasmus et du corps européen de solidarité (sorte de service civique européen) seront doublés.

Augmentation du budget, recettes propres en hausse et contrainte politique d'un côté, hausse des politiques de sécurité, et de soutien aux « réformes prioritaires » de l'autre: La Commission sort renforcée avec ce budget pour les 7 prochaines années. « Il n'y a pas de démocratie en dehors des traités » disait Jean-Claude Juncker au sujet de ceux qui voulaient remettre en cause l'austérité. De même, point de salut hors du cadre financier pluriannuel ? Reste le vote des Etats au Conseil européen.


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