Front de Gauche et Europe : « Ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain »

Aurélien Bernier, dans l’interview qu’il accorde à Rue89, revient sur les rapports du Front de Gauche et du Parti de Gauche à l’Europe et à la construction européenne. Son intervention est intéressante. Elle a le mérite de lancer le débat sur notre stratégie européenne et nous demande une clarification à laquelle je suis prêt à apporter des réponses.

D’un point de vue historique, l’explication d’Aurélien Bernier sur la réorientation du PCF en 1997 mérite tout d’abord quelques précisions.


L’auteur pointe une conversion à l’européisme du Parti communiste au moment de son entrée dans la gauche plurielle. Les tractations qu’avaient alors engagées le PCF se sont déroulées dans un climat particulier.


Aurélien Bernier fait comme si le Parti socialiste d’alors était monolithique. Or, l’alternative européenne à gauche n’existait nulle part ailleurs qu’au sein même du PS. À l’époque, j’ai cosigné avec Jean-Luc Mélenchon et d’autres personnalités de gauche « Le prix du pacte » : nous y dénoncions déjà la construction européenne en pointant les dérives du temps et en anticipant celles à venir. Dans ce contexte, et le rassemblement de la gauche qui se profilait, nous étions convaincus de notre capacité à réorienter la politique européenne en utilisant l’outil qu’était la gauche plurielle. Ce fût un échec.


Dès 2004, nous nous sommes à nouveau rassemblés pour refuser le Traité constitutionnel européen [PDF]. Cette union nous a amené à cette victoire historique, volée par les socio-libéraux et la droite. Cette campagne a indéniablement jeté les bases du Front de Gauche et notre histoire commune avec les communistes prit alors un tournant décisif. Ce n’est pas un hasard si les européennes de 2009 furent notre premier combat électoral commun avec les listes « Front de Gauche pour changer l’Europe ».


Municipales et européennes


Donnons raison à Aurélien Bernier sur un point : la stratégie municipale est directement liée au scrutin européen. En effet, au PG, nous défendons une vision pleine de la politique. Une vision emboîtée, et qui demande, de l’échelle locale à l’échelle européenne, de la cohérence. Voilà pourquoi nous nous sommes mis en retrait provisoire du Parti de la gauche européenne (PGE) en décembre 2013, le temps de la campagne municipale.


De la cohérence, et donc de la clarification, tel était notre objectif, même si la meute a ramené cet épisode à une futile bouderie. En effet, comment aurions-nous pu valider avec enthousiasme la présidence de Pierre Laurent à la tête du PGE, alors même que nous prétendons, ensemble, renverser la table de l’austérité, pendant que lui-même soutient les listes communes avec les solfériniens à Paris, à Besançon, à Nancy... pour ne citer que ces villes ? Évidemment, ce n’est pas imaginable.


« Souveraineté à l’intérieur de nos frontières »


La souveraineté est à retrouver à tous les niveaux de la vie politique et publique. La souveraineté se construit dans les communes à travers l’acquisition de nouveaux droits. Nous le défendons dans notre programme, Dans nos communes Place au Peuple, avec les régies publiques de l’eau, des transports, de la restauration collective, des déchets... Elle est aussi un enjeu national que nous portons par la convocation d’une assemblée constituante pour la VIe République.


Cette nouvelle donne politique jettera les bases d’une République débarrassée des conflits d’intérêt et du clientélisme. Elle redonnera sa place au peuple de détenteur de la souveraineté, à travers les référendums révocatoires. Il ne sera possible de peser en Europe que par la force de la révolution citoyenne. Nous devons d’abord retrouver notre souveraineté à l’intérieur de nos frontières avant de pouvoir construire la riposte au niveau européen.


Voilà quel est notre point d’appui à la réorientation des politiques européennes. C’est par l’exemple que nous construirons les alliances de demain. Partout, des mouvements similaires au rassemblement qui est le notre, émergent déjà comme l’alternative au système capitaliste décrépissant


« Rien à voir avec le Front national »


L’idée de souveraineté que défend le Front de Gauche n’a évidemment rien à voir avec celle développée par le Front national. Nous ne partons pas de cette sclérose mentale qu’est le fantasme d’une nation refermée sur elle-même, seul rempart face aux invasions étrangères. Cette vision lepeniste du monde s’accommode très bien du capitalisme agressif et de la prédation des lobbys. Plus encore, elle le renforce par le refus de comprendre et d’accompagner les mouvements sociaux, par son corporatisme génétique qui nie les intérêts de classe.


La souveraineté que nous voulons restaurer est celle du peuple. C’est une question de dignité et de puissance d’agir. Le peuple est ce qui rend l’action politique légitime. Ce mouvement de transformation nous le réaliserons d’abord par l’opposition de gauche qui amènera partout une remise en cause des mécaniques faciles du clientélisme local. La VIe République et la désobéissance européenne viendront compléter ce processus. Nous ne pouvons pas nous couper des autres désobéissants européens, c’est avec eux, par leur fréquentation, par les luttes sociales qu’ils mènent, par leurs victoires comme par leurs défaites que nous construirons ensemble l’Europe solidaire à laquelle nous n’avons pas renoncée.


Pas de pensée munichoise


La construction Européenne actuelle n’est pas une fatalité. Nous ne pouvons pas faire le choix d’abandonner la belle idée qu’est l’Union sous prétexte qu’elle a été dévoyée par les libéraux et les financiers. Porter un discours sur l’Europe assimilable, de près ou de loin, à celui du Front national c’est tomber dans leur piège. Ce serait une grave erreur que d’accepter leurs schémas de pensée munichois du renoncement et de la capitulation.


Alexis Tsipras – notre valeureux candidat à la tête de la commission européenne – rappelait la semaine dernière à Rome que « nous ne pouvions pas nous enfuir devant notre maison en train de brûler. Les peuples européens ont laissé le feu prendre, ils doivent maintenant le maîtriser pour pouvoir l’éteindre et reconstruire ». Voilà pourquoi nous devons porter nos idéaux jusqu’au cœur du pouvoir Bruxellois. Les forces du Front de Gauche et ses alliés européens doivent partout se faire le porte-voix de ceux qui n’ont pas accès à la parole.


Dénoncer les lobbys


Rendre au peuple sa souveraineté. Voilà le programme que porte le Parti de Gauche et que porteront très certainement les candidats du Front de Gauche aux élections européennes. L’un des enjeux fondamentaux se trouve dans la dénonciation du pouvoir des lobbys. Ce n’est pas tant la construction européenne en tant que telle qui pose problème. C’est plutôt qui elle sert et qui en a dicté les grandes lignes.


Les lobbyistes ! Voilà ceux contre qui le combat européen doit se faire. La Table ronde des industriel européens (ERT) qui a prêté sa plume pour écrire l’ensemble des traités européens, et une grande partie des directives cadres européennes, voilà ceux qu’il convient de mettre dehors. Les patrons voyous comme la famille Huntsman, qui licencient un jour à Han-sur-Meuse et négocient le lendemain le grand marché transatlantique avec Karel de Gucht commissaire européen au commerce, c’est ceux-là qu’ils faut chasser.


Retrouver notre souveraineté, c’est empêcher les agissements de ces brutes qui entendent nous gouverner. Dépassons l’illusion d’une souveraineté retrouvée par la restauration d’une nation fantasmée. Cette perspective conduit à nier les rapports de force économique, les antagonismes de classe, la force des puissants. Le combat doit viser la souveraineté populaire.


La sortie de l’euro n’est plus un tabou


Aurélien Bernier ne peut pas ignorer, à la date de cette interview, que le PG a clarifié un certain nombre de positions sur l’Europe lors d’un conseil national historique, le 16 février dernier. La résolution adoptée à 97 % des suffrages exprimés montre notre détermination : créer les conditions de la rupture avec la construction européenne béate. Ainsi, « nos listes seront donc en premier lieu, celles de la rupture avec l’actuelle UE et ses traités, en vue de la refondation de l’Europe ».


Sur la question de la sortie de l’Euro, nous en avons fait une donnée pensable, ce n’est plus un tabou au Front de Gauche, l’hypothèse est sur la table. Pour autant, nous pensons qu’il s’agit là d’un ultime recours. Nous ne sommes ni contraints à subir l’Euro-Merkel, ni enfermés dans une sortie de l’Euro inexorable. Les économistes libéraux comme les autres, ne semblent pas comprendre que le politique c’est justement le courage de l’invention. Nous ne sommes pas pris dans un destin pré-établi, c’est là justement que réside notre souveraineté.


Défense du protectionnisme européen


Alors, bien sûr, le protectionnisme européen solidaire fait partie de la palette de mesures que nous défendons : un protectionnisme ciblé par l’instauration de visas sociaux et écologiques susceptibles de parer au dumping inhérent au libre-échange généralisé.


A cet égard, la démonstration de Aurélien Bernier repose sur une approximation : nous commercerions surtout avec les Etats membres. C’est en réalité 50 % de nos échanges que nous réalisons dans l’UE, ce qui laisse 50 autres % hors UE. L’idée d’un protectionnisme n’est donc pas inefficace.


Ce sont les biens manufacturés les moins chers qui seront les premiers touchés par cette mesure. Le secteur de l’habillement, comme de nombreux autres, retrouveraient leurs places dans le tissu économique européen. Cette mesure nous permettrait de nous prémunir contre des produits ne respectant pas les règles écologiques dans les processus de production et la dignité de leurs producteurs.


Un cran d’arrêt à la technocratie

Oui, il faut ouvrir le débat sur l’Europe. Bien entendu, il faut mettre un cran d’arrêt à cette Europe de la technocratie, des lobbys et de la finance. Et en rejeter les traités austéritaires et libéraux.

Pour autant, faire de la sortie de l’Euro, et du processus de Schengen, le seul possible politique ne peut pas être la position d’un parti politique crédible. Il faut s’autoriser à penser ces scenari. Il faut même les prévoir car ils constituent une force de dissuasion politique sans précédent. Même si les enjeux des européennes sont multiples (référendum contre le grand marché transatlantique, désobéissance européenne, protectionnisme solidaire, rupture avec l’Euro Merkel...), ces élections doivent nous permettre de construire une majorité alternative de gauche en France et en Europe.

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