Discours prononcé par Gabriel Amard à la tribune de l’Assemblée Nationale. Examen de la proposition de loi appelant à élever Alfred Dreyfus au grade de général de brigade.
« Le nom de Dreyfus »
Il y a des noms qui brûlent dans la nuit comme des veilleuses de justice.
Le nom de Dreyfus est de ceux-là.
Et dans ce nom, c’est tout un siècle qui vacille encore.
Un siècle de trahisons froides, de procès aux regards tordus, de silences militaires, de lâchetés en uniforme.
“C’est un crime, disait Zola, d’égarer l’opinion, d’utiliser pour une besogne de mort cette opinion qu’on a pervertie jusqu’à la faire délirer.”
Et l’on fit délirer la République.
On la vêtit de mensonge, on l’arme de haine.
Un homme, un seul, fut jeté au bagne, non pour ses actes, mais pour ce qu’il était.
Un Juif. Un soldat. Un bouc émissaire.
Ils savaient. Et ils ont signé.
Sur un parchemin de haine, leur forfait de justice.
Le sabre a tranché la vérité.
Mais la plume – la plume d’un Zola, d’un Jaurès – a résisté.
Et Jaurès, lui, voyait plus loin, plus haut, plus vrai :
“Si Dreyfus est illégalement condamné, il n’est plus qu’un homme nu, l’humanité elle-même au plus haut degré de misère et de désespoir…
le témoin vivant d’un mensonge militaire, de la lâcheté politique, des crimes de l’autorité.”
Alors nous, aujourd’hui, dans cette Assemblée, nous disons que le temps est venu.
Non pas seulement d’honorer une mémoire, mais de réparer une injustice.
Le grade de général, à titre posthume, n’est pas un symbole.
C’est une exigence.
Mais tandis que nous levons ce nom, d’autres s’en emparent sans honte.
Et voilà que celles et ceux qui ricanent à l’ombre des croix gammées numériques,
Ceux qui veillent sur les étagères de la haine diffusent un poison lent pour la République
Ceux-là mêmes lèvent aujourd’hui la main, comme s’ils avaient été dreyfusards.
Non.
Dans ma famille, on descend des dreyfusards.
Pas dans la vôtre.
Car ce combat-là ne se porte pas comme un costume à la tribune.
Il se vit.
Il s’incarne dans chaque prise de parole contre la haine, dans chaque refus d’accepter l’exclusion, dans chaque main tendue à l’opprimé.
Ne vous servez pas de l’antisémitisme comme d’un javelot politicien.
Il n’est pas votre cause.
Il est notre serment.
Et ce serment, nous le renouvelons.
Car l’antisémitisme n’est pas mort, mais il n’est pas seul.
L’islamophobie ronge les plateaux et les lois.
Le racisme, l’homophobie, la haine des pauvres s’installent comme des meubles dans la maison commune.
Ils repeuplent la République de ses vieux fantômes.
Diviser pour régner, comme en 1894.
Opposer le patriote à l’étranger, le bon Français à l’indésirable, la République à ses enfants.
Et dans cette nuit, toujours le même brouillard.
Toujours cette peur qui veut gouverner.
Toujours ce pouvoir qui se garde en éteignant les lumières.
Alors nous disons : plus jamais.
Plus jamais l’homme broyé dans la machine de l’État.
Plus jamais l’uniforme contre la justice.
Plus jamais le silence contre le droit.
Chaque être humain est un feu fragile.
Et nous sommes là pour empêcher qu’on les éteigne.
Un à un.
Nom par nom.
Souffle par souffle.
Et dans l’ombre, toujours, le nom de Dreyfus.
Une lumière que nous n’éteindrons pas.
Votons cet acte, c’est un acte de mémoire et de conscience.